Le coin culturel
Collecte dans les plantations de Suzano
La station expérimentale d'Itatinga travaille aujourd'hui avec trois entreprises différentes produisant de la pâte à papier: Eucatex, Duratex et Suzano. Cette dernière fournit surtout de nouvelles espèces d'eucalyptus, développées récemment, pour planter à la station et étudier leur productivité. En plus des plantations d'Itatinga l'entreprise possède possède plusieurs autres lieux de plantation dans la région de São Paulo et notamment près de Paranapanema où j'ai eu l'occasion d'aller passer une matinée pour visiter un site de récolte.
Sur le site 30 ouvriers se relaient jour et nuit, 6j /7, pour couper les plantations âgées de 6 ans. Une demi-douzaine de machines tournent donc en permanence, elles coupent, écorcent et débitent en tronçons les troncs d'eucalyptus. Les lignes d’arbres se transforment donc en tas de bois prêts à être emmenés vers l’une des deux usines transformant le bois en pâte à papier avant de l’acheminer jusqu’à l’acheteur (principalement la Chine et les USA dans le cas de Suzano).
Voir les machines travailler de près est assez impressionnant, elles coupent environ 22 arbres par heure et il en existe différents types : certaines appliquent directement un herbicide tuant les souches, certaines coupent jusqu’à 6 arbres à la fois…
Les uns après les autres les arbres d'une rangée sont coupés et "préparés" aussitôt
Comme c’est le cas pour Suzano dans le cadre par exemple de son partenariat avec la station d’Itatinga, les entreprises de cellulose ont une importante activité de recherche. Elles étudient de nouvelles machines, de nouvelles espèces, ou des modes de gestion différents. Labellisée FSC, c’est entre autres dans ce cadre que l’entreprise tente de développer une production durable. La labellisation FSC requiert de plus des engagements sociaux forçant l'entreprise créer des emplois et proposer des conditions de travail correctes.
L'Amazonie et le Brésil: une longue histoire (III)
Partie III: A esperença é a ùltima quem morre
"L'espoir fait vivre", entre les été 2011 et 2012 le Brésil a atteint le plus bas taux de déforestation enregistré. Les efforts du gouvernement, qui s'est engagé au sommet en 2009 à réduire de 80% le taux de déboisement d'ici 2020, ont permis de réduire de 27% la surface déboisée par rapport à l'année précédente.
L'augmentation la productivité agricole ainsi que le développement des énergies durables permet de diminuer les aires dédiées à l'agriculture ou à l'élevage tout en augmentant la production. Le gouvernement brésilien, en créant un comité enter ces gouvernements, a réussis à développer divers angles d'attaque: l'amélioration du système de surveillance des activités illégales et des lois permettant une gestion durable des forêts ont également contribué au progrès récents. Les forêts sont aujourd'hui gérées à un niveau plus local et de nombreuses ONG environnementales s'investissent dans la protection et la promotion de la forêt naturelle.
L'avenir n'est donc pas si noir même si, comme dans toute situation, il faut garder à l'esprit les toujours présentes. Le lobby agricole peut s'avérer une menace pour le futur, notamment à cause de l'intéressant marché des biocombustibles et les grands travaux tels que constructions de barrages ou de routes sont toujours une menaces pour l'intégrité de la forêt.
Les acquis doivent aussi être consolidés, d'autant plus que certains systèmes de gestion restent complexes et nouveaux. Comme toujours, la forêt est une force tranquille: on récolte dans 50 ans les erreurs d'aujourd'hui, et celles ci peuvent coûter très cher!
L'Amazonie et le Brésil: une longue histoire (II)
Partie II: Desmatamento
Le jeu de la semaine: fermez les yeux et pensez à ce mot, "BRESIL". Maintenant inscrivez sur un papier ce que cela vous évoque...
Je parie sur les mots suivants: coupe du monde, carnaval, déforestation... Effectivement le Brésil est tristement connu pour ses exploits (dé)forestiers, entre 2000 et 2005 ce sont 3.1 millions d'hectares de forêts qui ont disparus annuellement. Il faut bien sûr relativiser cela par rapport à la taille du pays, toujours est-il que la conversion en terrains agricoles, miniers ou urbains de zone initialement forestières est un phénomène devenu alarmant depuis les années 50, 17% de la surface forestière initiale a déjà été transformée.
Si l'on entend autant parler de ce phénomène c'est que ses conséquences sont multiples. Affectant le milieu naturel il a des conséquences importantes sur la faune et la flore: perte de biodiversité (=moins d'espèces différentes), réduction ou destruction des habitats forçant les animaux à s'adapter ou disparaître, augmentation des risques naturels comme les incendies ou les inondations... En plus de cela les "services écologiques" rendus par la forêts sont fortement affectés, par exemple elle ne remplit plus sont rôle de filtre, stock ou régulateur d'eau et apparaissent sécheresses ou inondations. Enfin le CO2, même si cette forêt n'est pas le "poumon" auquel on l'associe. Comme le milieu n'est plus en croissance il libère autant de dioxyde de carbone qu'il en piège et le fait de couper et brûler les arbres équivaut à relarguer dans l'atmosphère autant de carbone qu'en contiennent les arbres adultes.
Incendies, agriculture, élevage et exploitation illégale de bois ou minerais sont les principales menaces pour la forêt. Les grands travaux comme la création de barrages ou des routes menacent également l'Amazonie, d'autant plus qu'ils conduisent à un morcellement de la forêt et ont un impact important sur les dynamiques de la faune et de la flore.
Au détriment des espaces boisés se sont développées des zones agricoles faiblement productives ou une industrie du bois non durable: ainsi la conversion des terres n'a-t-elle même pas profité aux populations locales ou au développement des régions.
L'Amazonie et le Brésil: une longue histoire (I)
Partie I: vert, oui! mais enfer?
La forêt amazonienne qui s’étend sur plus de 5 millions de km² au Nord de l’Amérique du Sud (8 fois la France) est partagée entre 9 pays : Brésil (à 63%), Pérou, Equateur, Colombie, Vénézuela, Bolivie, Guyana, Suriname et France (la Guyane française). Les chroniques de Francisco de Orellana, capitaine espagnol, premier explorateur du cours du fleuve, relatent sa rencontre avec la tribu guerrière des Amazones. De là vient son nom.
Cette forêt primaire (jamais exploitée, fragmentée ou impactée par l’activité humaine) est une « forêt tropicale ». Ce terme désigne tous les types de forêts se trouvant entre équateur et tropiques et rassemble donc bien plus que la jungle humide. Mais comme l’Amazonie en représente plus de la moitié à l’échelle du globe une assimilation est bien rapide ! Aujourd’hui la forêt a atteint le stade de « climax » : ultime stade du cycle naturel de successions écologiques qui correspond à l’association faune/flore/environnement la plus stable.
La biodiversité faunistique et floristique y est très élevée, c’est l’espace qui rassemble le plus d’espèces au monde. A certains endroits, 1km² de forêt abrite 75 000 espèces d’arbres et 150 000 espèces de végétaux supérieurs (= plantes ayant une forme adulte diploïde, c’est-à-dire que leurs chromosomes vont par paires ce qui exclut algues, mousses et fougères.).
Hormis cette richesse biologique l’Amazonie possède d’importantes ressources exploitables par l’homme : chasse, cueillette et exploitation des plantes médicinales. Ou, à une autre échelle, production de caoutchouc, cacao, jute, extraction de minerais (fer, cuivre, bauxite, manganèse ou or) etc. etc. Enfin, même si elle ne piège plus de carbone puisqu’elle n’est plus en croissance, elle filtre 15% des eaux du globe et a un effet tampon pour la régulation du climat.
Cependant, depuis plusieurs décennies, le besoin d’espaces pour l’agriculture, les routes, les barrages prime sur le maintien de ses richesses naturelles ce qui conduit à la déforestation accélérée de ses écosystèmes.
Le jeu du jour: trouver la grenouille!
Fuleco et le Caatinga
Reprenons contact avec le monde civilisé et profitons de l'actualité pour caler un peu d'écologie (au sens "étude des êtres vivants dans leur milieu et de leurs interactions" et non "EELV, On le dit, on le fait").
Premier match de la coupe du monde, le Brésil est rassuré: pour l'instant eux seuls marquent (pas toujours du bon côté mais c'est pas grave) et Fuleco se vend comme des petits pains (même plus, parce qu'ici les petits pains ne sont pas très bons).
Voici Fuleco, mascotte de la copa 2014, enchanté
Pour la première fois la mascotte choisie par la FIFA est une espèce protégée native du pays, un tatou à trois bandes. Les tatous sont des mammifères insectivores dont la majorité des espèces possède une carapace de corne qui les protègent lorsqu'ils se roulent en boule. Certains tatous creusent de grands terriers souterrains et selon l'espèce ils peuvent peser de 30kg à 100g. Vers chez moi on en croise souvent de petits d'environ 50cm de long fouillant le sol à la tombée de la nuit.
Présents sur tout le continent américain ils sont parfois chassés pour la nourriture ou limiter les dégâts qu'ils font dans les plantations. L'espèce de Fuleco, elle, est protégée car menacée par la destruction de son habitat.
Les tatous à 3 bandes vivent dans la brousse sèche nord bréslienne: le Caatinga, "Forêt blanche" en Tupi (Caa Tinga). Il s'agit d'une forêt sèche, basse, à végétation épineuse connaissant une très forte saisonnalité. En saison des pluies, herbacées et fleurs s'ajoutent aux habituels arbustes épineux, cactus et buissons. Le taux d'endémisme y est très fort (= nombre d'espèces présentes seulement dans ce milieu) autant pour la faune que pour la flore. Les services écologiques qu'il rend à la population locale en font un milieu riche et intéressant: régulation de l'approvisionnement en eau, régulation du climat, fertilité du sol...
Cependant la pression humaine y est très forte, le nord est du Brésil étant la région semi-aride la plus peuplée du monde et la richesse de la Caatinga a souvent été sous-estimée . Aujourd'hui plus de 40% a été coupé mais 1% seulement de sa surface est protégée !
Il n'est pas trop tard pour agir et les défenseurs de ce milieu espèrent profiter de la coupe du monde et des fonds reversés par la FIFA pour protéger l'habitat de Fuleco, le tatou à trois bandes !
Le cerrado: portrait de la forêt native
" Forêt native" désigne le type de végétation qui pousse naturellement dans un endroit donné (la végétation « climacique »), dans l’état de Sao Paulo il s’agit du Cerrado. Signifiant ‘fermé’ en portugais, le cerrado est une savane dense qui s’étend en marge de la forêt amazonienne et représente 22% de la superficie du Brésil soit le deuxième biome du pays (un biome est l’ensemble des espèces animales et végétales habitant une région géographique définie par son climat).
Le cerrado s’impose lorsque les températures baissent, parfois jusqu’aux alentours de 0°C, mais que le climat reste humide malgré une saison sèche vers avril. Ce sont aussi des sols assez pauvres et une fréquence importante des incendies qui permettent l’installation de ce biome : herbes, arbres et arbustes, dont l’écorce et les petites feuilles épaisses résistent au feu, arrivent à extirper du sol eau et éléments nutritifs grâce à des racines profondes puis constituent des réserves souterraines en prévision de la sécheresse et des incendies.
Le cerrado est l’une des savanes les plus riches autant pour la flore que pour la faune : les fourmis et termites y construisent des abris d’argile remarquables par leur taille, leur capacité à résister au feu et leur nombre. On trouve parfois près de 300 termitières par hectare et les fourmis creusent des km de labyrinthes pour cultiver sur des bouts de feuille le champignon dont elles se nourrissent. Ces insectes sont primordiaux dans le cycle de la matière du cerrado : les ouvriers d’une termitière peuvent ramasser 45kg d’herbe en une nuit. De plus ils sont les proies du fourmilier géant (le principal prédateur), des tatous (qui creusent des terriers un peu partout) et de très nombreux oiseaux. Le cerrado accueille aussi singes, capybaras, félins…
Un trou de Tatou, en plein milieu de la route!
Les capybaras: genres de gros hamster pantouflards vivant entre l'eau du lac et l'herbe autour des bâtiments
Ce biome est l’un des plus menacés d’Amérique du Sud, les terres qu’il occupe étant convoitées pour l’agriculture et les pâturages. De plus faune et flore sont adaptées à résister aux périodes de sécheresse en limitant les dépenses d’énergie mais trop peu de pluie leur serait fatal… cette année il a plût 3 fois moins que ce qu’il tombe d’habitude au mois de février. Le brésil pourrait déjà être en manque d’eau alors que la saison sèche commence tout juste.
Des termitières dans une pâture
Présentation des personnages
Le but de ma recherche est de savoir si la respiration racinaire des Eucalyptus et des Acacias varie selon que les arbres sont plantés pur ou en mélange. Avant d’aller creuser en sous-sol, voici un tour d’horizon de ces deux espèces.
Commençons par l’Eucalyptus grandis (ou gommier rose): originaire d’Australie cette espèce de la famille des myrtacées est aujourd’hui plantée dans presque toutes les régions subtropicales du monde, surtout en Afrique du Sud et au Brésil. La rectitude de son tronc convient pour produire poutres, parquets ou pièces de menuiserie. Grâce à sa croissance rapide il est intéressant pour produire du contreplaqué ou de la pâte à papier mais est surtout une source d’énergie rentable comme au Brésil où il est transformé en charbon alimentant l’industrie sidérurgique.
Sa silhouette élancée est reconnaissable : pouvant atteindre 50m de haut les arbres ont une écorce blanc-gris, brune près du sol et de petites feuilles coriaces d’un vert sombre en forme de faucille. Ses petites fleurs blanches apparaissant en automne sont bien moins grandes que celles des espèces ornementales mais organisées de façon similaire.
Sur la station, plusieurs "clones" (ou espèce) d'eucalyptus sont testés.
Chacun s'adaptera et produira différemment, et tous ont une morphologie propre: ici quelques types de feuilles
La seconde espèce de mes plantations est Acacia mangium, une fabacée également originaire d’Australie et du Sud-Est asiatique. Comme les autres fabacées, les Acacias possèdent dans leurs racines des bactéries symbiotiques profitant des sucres produits par la plante et fixant en échange l’azote atmosphérique. Grâce à cet apport les Acacias peuvent pousser dans des endroits peu fertiles pauvres en azote et lorsque leurs feuilles se décomposent cet azote est libéré et enrichit le sol. Pour des plantations d’Eucalyptus cela est intéressant car les Acacias deviennent des fertilisants naturels.
Les acacias sont un peu plus petits et atteignent une trentaine de mètres de haut. Ils sont bien plus ramifiés et forment plus facilement des individus au tronc dédoublé. Ils rejettent aussi plus facilement (ils vont réussir à faire pousser un deuxième tronc après une coupe). Les acacias sont également produits pour la pâte à papier et exploités en même temps que les eucalyptus avec lesquels ils sont plantés.
L'épopée de l'Eucalyptus
Importé d’Australie en 1868 l’Eucalyptus domine au Brésil (3.4 millions d’hectares plantés) principalement au Sud dans les états de São Paulo (où j’effectue mon stage), du Minas Gerais et du Parana. A partir des années 1960 l’Eucalyptus est de plus en plus utilisé aussi bien pour le bois de construction, la marqueterie, le bois de trituration ou encore la pâte à papier. Sa croissance rapide, sa compétitivité par rapport aux autres espèces et ses rendements élevés lui permettent peu à peu de remplacer les espèces natives. Aujourd’hui la production concerne surtout le bois énergie et la pâte à papier ses qualités mécaniques étant facilement surpassées par d’autres espèces.
Parcs à grumes et plantations bientôt exploitées
Au cours du temps deux principales espèces ont été progressivement sélectionnées pour leurs faibles exigences en eau et richesse du sol: E. urophylla et E. grandis qui sont les plus productives et compétitives. Grâce également à l’évolution des techniques culturales, les rendements ont aujourd’hui beaucoup augmenté. L’eucalyptus a cependant été parfois remplacé par d’autres espèces aux qualités mécaniques supérieures.
Ces cultures génèrent certains problèmes environnementaux. Usuellement l’eucalyptus est planté en monoculture pour réduire les coûts d’exploitation et faciliter la gestion. Ce qui est certes bien plus pratique et surtout rentable (des coupes rases tous les 20 à 25 ans pour la production de pâte à papier) mais l'impact environnemental est loin d’être anodin.
En premier lieu une plantation, bien moins riche qu’une forêt primaire, réduit significativement la diversité d’une région, en particulier la faune y disparaît rapidement. De plus les pratiques souvent non optimales rendent les terrains ensuite improductifs : érosion, appauvrissement et assèchement des sols et pollution par des produits chimiques.
D'autre part l’espace réservé aux plantations remplace soit la forêt native qu’est le cerrado (plus d’explications au prochain épisode, ha ha !) soit des cultures ou pâturages plus intéressants pour les populations locales. Car l'économie de plantation est essentiellement le fait de grandes entreprises qui proposent des salaires très bas.
Une espèce ornementale d'Eucalyptus sélectionnée, elle, pour la beauté de ses fleurs.
Pour pallier aux problèmes environnementaux la recherche peut apporter des solutions. Depuis le début de l’engouement les rendements ont été presque multipliés par quatre. Par la sélection d'espèces et l'optimisation des techniques. On peut encore réfléchir à l’espacement des arbres, la durée des rotations, la fertilisation des sols... ou développer des techniques innovantes comme la mycorhization des plants en pépinière (ajout de champignons et bactéries aidant la croissance).
L’eucalyptus reste une essence intéressante. Elle est la plus à même de répondre à la demande mondiale de pâte à papier. Elle permet, si elle est bien cultivée, de créer des forêts durables pouvant également faire office de « puits de carbone ».