La saga des grosses racines
Les campagnes de mesures ponctuelles
Comme les chambres permanentes ne marchent pas, je me rabat sur un protocole moins novateur mais qui a fait ses preuves et consiste à ne mesurer qu'une fois la respiration d'une racine.
J'utilise des chambres "ponctuelles" spécialement fabriquées pour l'occasion: ce sont des cylindres de plexiglas coupés en deux morceaux et équipés de charnières pour les ouvrir et les fermer à volonté. Les bords sont équipés de mousse pour fermer hermétiquement et un trou à chaque extrémité permet à la racine de passer dans la chambre. La chambre installée je comble autour de la racine avec du mastic.
Pour homogénéiser l'air dans la chambre un petit ventilateur brasse l'air et deux ouvertures assurent toujours selon le même principe la circulation de l'air jusqu'au "Li-Cor" (l'appareil de mesure à cellule infrarouge).
Avec ces nouvelles chambres je peux faire des campagnes de mesures "intensives" et récolter des données traitées ensuite sur ordinateur. Pour l'instant je suis à 2 séries de 15 arbres par traitement (15 eucalyptus en plantation pure et 15 en plantation mixte, idem pour les acacias). Pour chaque racine il faut d'abord la trouver puis la dégager sans l'abîmer pour placer la chambre. La mesure prise je coupe le tronçon et le mets à l'étuve à 65°C pendant au moins 4 jours.
Le traitement des données me permet d'éliminer les mesures ratées: une fois les racines sèches je garde celles qui sont exploitables, les pèse puis les broie avant de les envoyer au laboratoire pour avoir les teneurs en azote.
Le moment où on se rend à l'évidence et on change de technique!
Après deux mois d'ajustements, de rebondissements et de suspens je me suis rendue à l'évidence: le fameux dispositif de chambres permanentes permettant de mesurer la respiration des racines pendant plusieurs mois ne fonctionne pas.
Pour exploiter un dispositif il faut être certain de la fiabilité des données qu'il fournit sinon on ne peut pas s'en servir. Pour cela on peut comparer les mêmes données mais mesurées autrement. Dans ce cas je mesure la respiration d'une racine (en prenant une section juste après celle placée dans la chambre) avec une chambre "ponctuelle" dont le principe a déjà été utilisé pour d'autres études.
Nous avons construit ces chambres pour une mesure ponctuelle de la respiration racinaire: elles fonctionnent selon le même principe que les colliers permanents mais se disposent plus rapidement et après la mesure on retire la chambre. L'augmentation de [CO2] dans ces chambres est bien linéaire ce qui montre leur fiabilité: elles me donnent donc des points de comparaison sûrs.
Une jolie courbe (racine d'Acacia, [CO2]=f(t) pendant 2 minutes)
La régression linéaire apparaît en rouge et colle bien à l'augmentation mesurée
Malheureusement j'ai trouvé une différence entre les deux mesures bien trop grande, je ne peux donc pas faire confiance aux chambres permanentes. Cela peut être dû à plusieurs choses: accumulation de matière organique dans le sable, installation d'insectes, mais surtout apparition de fuites... si le "couvercle" n'est pas bien hermétique le CO2 qui s'accumule quand elle se ferme va s'échapper par le haut. A l'inverse si la fuite vient du bas, l'air du sol plus concentré en CO2 sera aspiré et faussera la mesure.
Une courbe vraiment pas très jolie: il faut une régression exponentielle (en bleu) pour la modéliser
La forme est typique d'une fuite: le CO2 met du temps à augmenter et s'échappe lorsqu'il est très concentré
Je ne peux pas exploiter mon dispositif de chambres permanentes mais mon travail aura quand même servi de test et donne des pistes pour plus tard. Je poursuis donc mon étude avec les chambres ponctuelles seulement.
Comment j'ai compris que dans la vie il y a toujours une explication
Suite au dernier article, vous étiez bien entendu tous dans le suspens et l'insoutenable attente de savoir comment résoudre ce problème de sable qui respire !
Mon fameux sable inerte remplit les chambres pour mimer la terre et protéger les racines des sauts de températures et intempéries. Après avoir constaté qu'il respire, je me suis lancée dans un grand brain-storming pour trouver une solution alternative.
J'ai pensé à remplacer le sable. Il provient de gravières fluviales et pourrait contenir du calcaire dégageant du CO2 au contact de l'eau. A la place j'aurais mis des graviers ne pouvant contenir de calcaire! Oui mais les graviers sont trop gros et leur porosité bien supérieure perturberait la diffusion habituelle du CO2 dans le sol. De plus l'eau ne serait pas retenue et la racine serait à sec.
J'ai aussi pensé à retirer le sable avant chaque mesure. Une grande pièce de tissus dans le fond des chambres, dépassant sur les côté et remplie de sable aurait permis de bien épouser la forme de la racine et de mettre et retirer le sable rapidement.
Il y a toujours une solution sinon c'est qu'il n'y a pas de problème! En parallèle bien entendu je me suis lancée dans une campagne d'expérimentations pour savoir si le sable respire vraiment et pourquoi... et en fait il ne respire pas: il fait semblant !
Dans nos expériences précédentes, nous avions ajouté de l'eau du robinet sans penser que dans le sol les concentration en CO2 sont bien supérieure à l'atmosphère, l'eau y séjourne longtemps et se charge en CO2... et le relargue quand on verse sur le sable. On a donc vérifié en prenant de l'eau de pluie, équilibrée avec l'atmosphère, et là ça ne respire pas !
En poursuivant les mesures il y avait malgré tout encore des données élevées de flux de CO2. Heureusement le soir en les regardant sur ordinateur j'ai vu que les concentrations étaient très petites mais variables et donnaient donc une modélisation exponentielle pas négligeable du tout.
Bref, je travaille avec des instruments de pointe... et j'apprends petit à petit. Maintenant que tout est clarifié je reprend mes mesures bi-quotidiennes avant de sortir mes premiers graphes de respiration.
Le paysage de la fin: une placette vue du ciel.
Les eucalyptus ont le même âge et sont dans les même conditions... il s'agit juste de deux espèces différentes!
Première étape: c'est parti... mais parce que ça ne marche pas, on recommence!
Voilà un mois que j'ai commencé mon stage dans ces fameuses plantations d'Eucalyptus et d'Acacias et je n'en suis encore qu'au début. même si je m'y suis mise tout de suite, la mise en place du dispositif prend du temps. Comme j'ai expliqué ça n'a l'air de rien mais j'ai pu passer une après-midi à coller précautionneusement du mastic autour de ronds en plastique!
A cela s'ajoute bien entendu les imprévus matériels, pas suffisamment du fameux mastic par exemple. On va donc en récupérer sur de vieilles chambres inutilisées qui (forcément sinon ce n'est pas drôle) sont autour des troncs à 5m de haut. Ah! plus assez de sable, il faut aller en racheter en ville et comme un tonneau ne rentre pas dans la voiture on attend le lendemain que la charrette soit libre...
Une fois le dispositif installé on passe à la phase de tests: deux mesures par jour qu'il faut ensuite traiter et analyser pour vérifier que le dispositif est fiable. Cela implique une phase d'adaptation aux multiples appareils utilisés: courir après les câbles et adaptateurs pour lire les données, calibrer correctement les instruments, tomber en panne de batterie quand on ne connaît pas leur capacité... Et puis bien entendu il y a de nouveaux obstacles comme une carte compact qui ne marche plus et rend illisibles deux jours de données!
Enfin, maintenant tout va bien ... oui maiiiiis ... en mesurant par curiosité la "respiration" du fameux sable inerte tout seul dans une chambre sans racine je me suis aperçue qu'il respire quand il est mouillé. Certainement une réaction chimique, comme des éléments calcaires réagissant avec l'eau. Le souci est que cette respiration varie beaucoup en fonction du temps écoulé depuis la dernière pluie et de la quantité d'eau qui a réussi à rentrer dans la chambre. Des données impossibles à obtenir!
Maintenant je suis passée à la phase résolution des problèmes de fond (sachant qu'avec ce fameux sable, des chambres automatiques tournent depuis 2 semaines et fournissent des donnes potentiellement fausses). Trouver un autre matériau vraiment neutre ? Mettre le sable dans un tissu pour l'enlever facilement au moment de la mesure ? Abandonner les chambres et déterrer une nouvelle racine à chaque fois ?
Ce n'est pas drôle de se retrouver avec un mois de travail peut-être perdu... mais la recherche c'est ça, d'autant plus quand les dispositifs sont nouveaux et n'ont pas encore été utilisés! Et puis au moins c'est pas la routine.
Les pépinières de la station, en bordure de forêt où croissent les arbres avant d'être plantés
Un "laboratoire à ciel ouvert"
Vous l'avez compris, les forêts d'Eucalyptus et d'Accacia sont bien différentes de la jungle primaire. Toujours est-il que l'on n'y est pas pour autant dans un laboratoire étincelant, à l'abri des intempéries, des difficultés techniques et pratiques ou des imprévus incessants.
Pendant ces 6 mois dans la station expérimentale de sciences forestières d'Itatinga je vais me pencher sur la respiration des racines d'Eucalyptus et d'Accacia, plantés seuls ou mélangés pour essayer de détecter d'éventuelles différences en suivant le mode de croissance des arbres. L'idée est d'étudier un phénomène physiologique in situ, c'est à dire directement sur l'arbre qui croit dans des conditions naturelles. On entend par "respiration" la production de CO2 par la racine qui est liée à la vie des cellules et à la production des tissus végétaux.
Quand je dis "se pencher" c'est bien entendu au sens propre car il faut installer le dispositif expérimental. Cela nous a pris 2 semaines à 3 personnes. On doit d'abord trouver et dégager les racines sans les abîmer en creusant autour des arbres. Une fois mise à nue on entoure la racine d'un collier de plastique fermé par dessous avec une plaque et scellé hermétiquement au mastic. Enfin on remplit le collier de sable inerte qui remplace la terre d'origine (elle respire via ses micro-organismes et autres composantes organiques) et protège la racine sans fausser les mesures de flux de gaz.
Pour mesurer le flux de CO2 j'utilise un appareil portable avec une cloche s'adaptant en haut des chambres. Grâce à une pompe l'air de la cloche circule dans l'appareil jusqu'à un détecteur infra-rouge qui mesure l'absorbance du flux d'air ce qui permet d'avoir la concentration en CO2. La variation de cette concentration rend compte de la respiration de la racine: au bureau il n'y a plus qu'à faire quelques calculs avec le volume de la chambre et la surface de la racine!
Racine d'Eucalyptus dans sa chambre à fermeture automatique, avant de placer le sable
48 chambres sont installées, 16 dans chaque type de plantation (pure ou mixte). Dans la plantation mixte les chambres se ferment automatiquement et prennent des mesures toute la journée, cela pendant 3 à 4 mois ce qui permet d'évaluer les variations saisonnières de respiration. Dans les plantations pures je passe matin et soir pour mesurer la respiration et ainsi récupérer des données sur la variation diurne de la respiration.