Stage de fin d'étude
De la forêt au labo v 2.0: la chimie des feuilles
Tout bon travail de terrain qui si respecte est suivi d'une longue période de mesures, d'analyses et de mise au propre des données et des échantillons. Je n'ai pas échappé à la règle, d'autant plus que je suis rentrée avec le sac à dos rempli de liasses de fiches terreuses, de feuilles séchées et de morceaux de tiges dans des tubes en plastique.
Le travail le plus pressé était l'analyse chimique des feuilles qui, même séchées, risquaient de s'abîmer. Pour chaque plant je devais doser la teneur moyenne en azote des feuilles, un indicateur précieux pour connaître l'efficacité d'un arbre à utiliser la lumière reçue.
La préparation des échantillons et les temps d'attente son long pour cette manip et il faut être précis
Mesurer la quantité d'azote dans les feuille est assez long: il faut broyer les feuilles sèches, les "minéraliser" (= les dissoudre) dans l'acide pendant 1h30 puis doser l'azote dans la solution obtenue. Concrètement (pour les chimistes) on minéralise l'azote organique pour avoir des ions ammonium que l'on distille à la soude avant de titrer la solution.
Une succession d'étapes assez longues car il faut peser précisément les feuilles au départ, préparer les mélanges attendre que les réactions se fassent et surtout prendre son temps car 1) l'acide, ça brûle, 2) c'est répétitif donc on en a rapidement marre, 3) il faut être précis car les quantités dosées sont très petites.
De la forêt au labo v 1.0 : analyse d'images
Sur le terrain au Cameroun j'ai scanné une feuille et un échantillon de racines pour chaque plan étudié. Ces scan permettent de mesurer la surface des feuilles et la longueur des racines en traitant les images par ordinateur. Ces mesures sont très importantes pour rendre compte de la morphologie de la plante et de son fonctionnement: plus les feuilles ont une grande surface plus elles interceptent de lumière, mais sont aussi plus fragiles. Idem, plus les racines sont longues et fines et plus elles peuvent "explorer" le sol pour chercher de l'eau et des minéraux, mais moins elles assurent l'ancrage dans le sol. Ces caractéristiques sont typiques de la "stratégie" d'une plante: favoriser une acquisition rapide des ressources ou assurer la pérennité des organes.
Pour mesurer ces surfaces et ces longueurs un loooong travail d'analyse d'image sur ordinateur, tout en manuel, est donc nécessaire pour traiter tous les scans rapportés du terrain. Pour les feuilles on transforme les image en noir et blanc, on retaille le contour des feuilles si nécessaire puis le logiciel calcule la surface.
Scans de feuille et de racine d'Ayous (Triplochiton scleroxylon)
On met aussi toujours le nom du plant et une échelle
Pour les racines on importe les images dans un logiciel de cartographie puis on retrace les racines en cliquant à la main sur toute leur longueur.
Après moultes heures passées à cliquer devant son écran, on a le temps d'enrichir sa culture musicale et de réfléchir à la suite des événements...
Cameroun: sur le chantier d'exploitation
Si les mesures sur les plantules constituent la majeure partie de mon travail, elles ont été complétées par des mesures sur arbres adultes. Pendant ma mission je logeais et travaillais sur le site de la société Pallisco: une situation idéale pour accompagner les équipes d’abatteurs qui allaient chaque jour en forêt couper les arbres désignés pour l'exploitation.
Etudier les arbres adultes est toujours compliqué : difficiles d’accès en forêt, il faut ensuite récupérer les feuilles tout en haut de l'arbre et on ne choisit pas lesquelles seront prélevées. En pratique la récolte est assurée par un grimpeur professionnel qui escalade l’arbre ou alors à la carabine. Travailler avec les abatteurs était donc une situation rêvée : je pouvais aller choisir les feuilles encore fraîches juste après la chute de l’arbre.
Au risque de passer de nouveau pour une serial killeuse cruelle, il faut quand même avouer que la chute d'un arbre est un spectacle impressionnant. On l'entend craquer un bon moment avant de le voir finalement tomber dans un bruit du tonner en faisant trembler le sol (certains font 2m de diamètre !). La technique d’abattage est aussi tout un art, qui consiste à orienter sa chute sans écraser ses plus grosses branches et en évitant de le fendre dans la longueur.
Le travail de terrain est très dur : les ouvriers marchent sans cesse en forêt (NB : il fait plus de 30°C) en portant une tronçonneuse de 25kg et ils doivent systématiquement débroussailler à la machette autour des arbres pour avoir suffisamment d’espace pour éviter le tronc s'il ne tombe pas bien. Le métier est donc très dangereux, d’ailleurs dès que le temps est mauvais les équipes ne travaillent pas car le vent et la pluie risquent de dévier la chute des arbres.
En plus de compléter mes données, les collectes sur arbres adultes m’ont permis d’accompagner les ouvriers et de me balader un peu en forêt, ce qui est toujours bien pour mieux connaître ce sur quoi on travaille.
Cameroun: les collectes en pépinière, ou comment je me suis fait appeler Dexter
On ne dirait pas comme ça, mais la recherche est impitoyable et pleine de cruauté : pendant mes deux mois de terrain je n'ai fait qu'assassiner des plantes avec préméditation. Pour me consoler je me dis que mes plants ne sont pas morts en vain : une fois achevés je les ai intégralement mesurés, scannés, pesés, identifiés, etc, etc. (D'où l'habile parallèle avec la série sus-nommée)
L’échantillonnage des plants prévu à changé une fois sur place : au lieu des 30 espèces d’arbres prévues seulement 15 ont pu être étudiées. Ces espèces étaient les seules à avoir suffisamment de plants du même âge, une condition indispensable pour pouvoir comparer les plants. Ceci n'est pas facile à assurer puisque les plantes viennent de graines récoltées en forêt et mises à germer en pépinière sans calendrier prédéfinit. Cela dit vu le temps nécessaire pour traiter un échantillon je n’aurai dans tous les cas pas eu le temps de faire toutes les mesures sur 30 espèces.
J’ai désigné 10 individus de chacune des 15 espèces et les ai déraciné, découpé en morceaux et disséqué minutieusement. Je comptais le nombre de feuilles et de branches, mesurais le diamètre de la tige et du pétiole, triais les racines vivantes (à la pince à épilé, de grands moments de bonheur !) et mettais le tout à sécher à l'étuve. Après 3 jours je reprenais les échantillons pour repeser les différents organes de la plante pour avoir leur masse sèche relative. Entre temps je scannais une feuille et un échantillon de racines pour avoir ensuite par ordinateur la longueur des racines et la surface de la feuille.
Chaque mesure doit être faite avec précaution, car les différences entre espèces que l’on cherche à montrer ne sont pas toujours évidentes. Le protocole de mesure varie de plus pour chaque espèce: toutes ont des morphologies différentes et il faut garder en tête ce que l’on cherche à mesurer par adapter correctement le protocole.
C’est donc avec une froideur et un détachement inhumains que j’ai dézinquer plus de 150 plantules… j’avais quand même un peu la pression pour ne pas faire n’importe quoi !
J-7: parée pour le terrain
Voici le moment de faire un petit bilan de mon mois en Belgique: je me console du climat tropical... manger des frites, boire de la bière, ramasser les oranges du Carnaval, applaudir aux courses de brouette et regarder François Damiens... Nan, en vrai ça bosse dur et je commence à être bien parée.
Pendant 1 mois j'ai donc fait de la bibliographie: des heures à chercher des articles scientifiques expliquant tel ou tel phénomène, en essayant de sélectionner les plus récents et pertinents. Bien entendu un article sur deux se contredit, personne n'a vraiment la même méthode de mesure et chacun y va de son interprétation des résultats. C'est très intéressant, mais on est rapidement perdu et il ne faut pas négliger une étape de mise à plat, de résumé et d'organisation des recherches. Il est aussi important de se faire sa propre réflexion, et pour cela rien de mieux que de discuter avec les collègues.
La cour de l'université de Gembloux... ça change des plages de cocotier mais l'endroit est tout aussi accueillant!
La bibliographie permet donc de connaître l'état des connaissances, mais aussi de mettre au point les protocoles expérimentaux et, dans mon cas, de choisir les "traits" les plus pertinents à étudier. Au delà de la théorie, les détails et contraintes pratiques vont aussi limiter les mesures à effectuer, à cause du temps et du matériel disponible. Comme je considère l'ensemble des plants, les mesures sont assez différentes et le matériel et les méthodes a chaque fois spécifiques. Si en plus on veut avoir des données "valables" scientifiquement il faut utiliser des protocoles standardisés ou du moins cohérents avec ce qui a déjà été fait. Si on néglige cet aspect déjà il sera difficile de comparer (et donc vérifier) les résultats, on ne pourra pas compléter avec d'autres jeux de données et on risque d'avoir de sévères critiques de la part des relecteurs scientifiques si un jour on cherche à publier un article.
En prenant en compte toutes ces contraintes, il est long de mettre au point les protocoles expérimentaux. D'autant plus qu'il faut absolument faire des essais pour se rendre compte du temps et de ce qu'il nous manque: en général il faut 3 jours de "calage" pour voir les soucis, les régler et tester les solutions apportées.
Heureusement, je commence à voir le bout de toute cette préparation: maintenant y'a plus qu'à... et on croise les doigts pour qu'une fois au Cameroun, tout se passe comme prévu!
Plan d'attaque et organisation du terrain
Sur le terrain les collectes vont se dérouler en deux parties: une première, sur de jeunes plants en pépinière, et une seconde, en forêt, dans des plantations ou sur des arbres abattus. Ces différents jeux de données vont me permettre de voir l'évolution des traits morphologiques au cours du développement des individus: les arbres commencent leur vie en pépinières puis sont plantés à l'extérieur, quand ils sont assez grands, jusqu'à atteindre leur taille à peu près adulte pour être plantés en forêt naturelle, où ils vont reforester les zones d'exploitation.
les plants en pépinière sont plus accessibles et plus petits (forcément!), je peux donc y faire toute une batterie de mesures. Pour chaque "compartiment" (racines, tige, feuilles) je mesure, pèse, prends des échantillons, fait sécher à l'étuve, re-pèse, etc... Comme les plants ont tous le même âge, comparer ces mesures permet de voir les différences entre espèces. On peut grâce à ce jeu de données identifier les traits variables d'une espèce à l'autre et les relier à leurs préférences environnementales.
Le deuxième jeu de données correspond aux mesures prises sur les jeunes arbres en plantation ou sur les arbres abattus en forêt (les forêts naturelles sont exploitées directement, en coupant seulement les arbres commercialisables). Les traits foliaires seulement sont mesurés (sinon cela prendrait bien trop de temps) et mis en relation avec les données de pépinière on peut voir l'évolution des traits selon l'âge des arbres.
A mon retour en Belgique, dernière étape pratique: traiter les échantillons récoltés sur le terrain. Nous allons doser les quantités d'azote et de carbone dans les feuilles des pousses de pépinière (le taux d'azote, présent en grande quantité dans les protéines, est un bon indicateur de l'activité photosynthétique des feuilles; le carbone lui est directement corrélé à la quantité de tissus de soutien). Je vais également réaliser des coupes anatomiques de tiges pour compter et mesurer les vaisseaux du bois, conducteurs de la sève et des nutriments partout dans la plante.
Pour terminer bien sûr, il faudra analyser les données et proposer des interprétations ou des explications pour les variations observées. Tout ça va être un sacré boulot ! J'étudie 30 espèces (allant de celles de pleine lumière aux espèces de sous-bois aimant l'ombre) et prévois de mesurer 10 individus par espèce, avec 2 feuilles par individus... (vous pouvez jouer les numéros au loto, si ça marche vous n'aurez qu'à faire un don à ma future fondation...).
De la Belgique au Cameroun!
Ca y est, je ne suis bientôt plus étudiante... et pour cause, je viens de commencer mon stage de master recherche qui clôt mon cursus d'ingénieur. Après toutes ces expériences je suis bien déterminée à continuer dans la jungle et pour ce dernier stage j'ai jeté mon dévolu sur le troisième grand bassin forestier du monde, au cœur d'une forêt qui me reste à découvrir: le Cameroun et la forêt type congolaise du Sud-est. Le sujet du stage est de relier les caractéristiques morphologiques, "fonctionnelles", des arbres tropicaux et leur préférences vis à vis de la lumière. Le stage dure 6 mois: encadrée par des chercheurs Belges de l'université de Gembloux je prépare mes protocoles et le planning de terrain pendant 2 mois en Belgique. Après cette passionnante mais non moins indispensable période de bibliographie et de mises au point je pars 6 semaines collecter des données sur le terrain sur le site de la société Camerounaise Pallisco, localisée au Sud-est du pays.
Localisation du site de Pallisco, près de Mindourou.
Les forêts sont semi-décidues (certains arbres perdent leurs feuilles, généralement à la saison sèche),semblables à celles du Congo.
La société Pallisco exploite la forêt naturelle sur le modèle des concessions: les arbres d'intérêt sont régulièrement récoltés mais la forêt reste dense et diversifiée.
J'ai donc la joie de découvrir l'université de Gembloux Agro-Bio Tech (qui brasse sa propre bière d'Abbaye, attention!), charmant petit bourg au Nord de Namur à l'activité folle et débridée (enfin ce sont surtout les étudiants qui sont fous et débridés, tout en étant particulièrement sympathiques, je tiens à la préciser!). J'aurai ensuite 6 semaines de mesures, pesées de feuilles, tri de racines et collectes d'échantillons dans les pépinières et sur les chantiers de Pallisco. je retournerai ensuite en Belgique pour y faire des coupes anatomiques, des dosages chimiques sur les échantillons ramenés, des analyses statistiques (y'avait longtemps!) et la rédaction de mon rapport...