2 mois autour du teck
Sujet de recherche
Bienvenue dans la forêt tropicale sèche à dipterocarpes
(Du nom de la famille d'arbres la plus représentée)
Ce n'est pas tout à fait l'idée que l'on se fait de la forêt équatoriale: arbres espacés formant un couvert clairsemé, hautes herbes colorant en vert pomme l'horizon sur un mètre, quelques troupeaux de vaches ruminant tranquillement dans l'ombre...
Mais toujours cette impression caractéristique de ne pas être chez soi, de ne pas tout maîtriser: ce n'est pas forcément plus mal!
Voilà, le décor est planté.
Dans cette forêt l'équipe de recherche de l'université Tay Nguyen a planté une quarantaine de placettes (1500m²) avec des plants de teck qu'ils fertilisent, mesurent tous les ans, débroussaillent...
Ce suivi est accompagné d'une étude précise des conditions environnementales pour chaque placette (pH du sol, importance du couvert végétal, valeur de la pente etc.). Après quelques mois (deux ans peut être) il devrait être possible de savoir quels sont les endroits où les teck ont poussé le mieux et trouver quelles sont les conditions du milieu responsables de cette croissance correcte. Il sera alors possible grâce à des logiciels de cartographie d'identifier à l'échelle de tout le massif forestier les meilleurs endroits pour planter du teck.
Mais au fait... pourquoi planter du teck ?
Cette essence a un bois de grande qualité: solide, d'une jolie couleur claire... il possède une forte valeur ajoutée et réussir à le faire pousser dans ce type de forêt augmenterait la valeur économique de celle-ci sans la détruire car il ne s'agit pas ici de monoculture!
Cette revalorisation rendrait légitime la préservation d'espaces forestiers qui sont aujourd'hui fortement réduits et menacés.
Et moi, dans tout ça ?
En rejoignant pour deux mois l'équipe de recherche j'ai pu participer d'une part à la collecte des données et d'autre part réaliser une étude des placettes à partir de leur composition en espèces arborées.
L'idée est de séparer les placettes suivant les arbres qu'on y trouve puis de créer des groupes de placettes similaires, correspondant à un certain cortège floristique, et de lier ces groupes à des facteurs environnementaux. On pourrait alors savoir si la placette est "bien" pour planter du teck en recensant la flore.
Malheureusement je n'ai pas pu dégager de différence significative! Mais justement, c'est un résultat: se fier à la flore arborée n'est pas un bon critère pour juger de la qualité d'une placette. Pour avancer on peut penser dans une prochaine étude à étudier les espèces herbacées qui vivent moins longtemps et dont la présence dépend donc beaucoup moins du passé de la zone.
Incontournable terrain
Première étape: récolte des données
Les placettes d'étude sont réparties sur 3 sites principaux:
Les sites sont assez éloignés de Buon Ma Thuot, les sorties sur le terrain durent donc en général 4 jours. Bien entendu cela comprend souvent une journée de transport pour l'aller. Un seul bus par jour faisant des pointes de vitesse à 50 km/h, temps passé aux différents postes administratifs pour m'enregistrer en tant qu'étrangère...
Il faut noter que ce n'est pas évident d'aller sur le terrain pour les stagiaires internationaux. Se rendre dans des villages de minorités ethniques est soumis à autorisation du gouvernement ce qui prend du temps et est incertain.
Mais j'ai tout de même eu l'occasion de passer au moins 3 ou 4 jours sur chaque site, ce qui est très intéressant car étant éloignées l'une de l'autre chaque zone permet de découvrir un paysage et un contexte nouveaux.
A Buon Don nous logions dans un centre touristique accueillant les visiteurs venus découvrir la forêt et faire un tour à dos d'éléphant. Le centre a des allures de disneyland désert mais le paysage est superbe et pour y accéder on traverse des villages Edê et Muong.
Ea'Hleo est un endroit beaucoup plus isolé. Proche de la frontière cambodgienne il faut bien 1h de piste en quittant la route principale pour arriver aux postes de l'armée et aux logements de la compagnie forestière qui gère la zone. Une quinzaine de personnes habitent ici: famille des gestionnaires et ouvriers de la compagnie, collègues de passage...
Enfin Ea'Sup, aux placettes dispersées au milieux de champs de maïs et de plantations d'hévéa, est une immersion au cœur des montagnes nuageuses des hauts plateaux. On y loge chez les "forest rangers", ravis de rencontrer une française fraîchement débarquée!
La journée de terrain commence tôt pour éviter la chaleur de midi pendant laquelle peu de gens résistent à la sieste. En soi le travail n'est pas très éprouvant: les mesures écologiques consistent à mesurer des arbres, creuser des carottes pour apprécier la profondeur du sol, inventorier la flore, parcourir toute la placette pour bien rendre compte de son découpage et de ses caractéristiques... seulement la forêt sèche a un couvert végétal peu important et il est difficile de trouver de l'ombre.
Comme tout travail de terrain la répétition est parfois pénible, surtout quand il faut mesurer 400 diamètres avec un petit compas de précision! mais cela fait partie du travail, une fois qu'on est habitué on n'y prend pas garde et puis on sait pourquoi on le fait.
Trinh, une collègue de l'équipe, en pleine action
En guise de récompense le premier soir est souvent l'occasion de jouer de la guitare, bien manger, s'inviter mutuellement à des shots d'alcool de riz fermenté et chanter des chansons! Bref, l'esprit forestier est international:
Etape suivante: traitement des données et résultat
Un peu d’R…
Durant mon stage je suis allée quatre fois sur le terrain et j’ai pu visiter chacune des trois principales localisations. Je n’ai malheureusement pas pu travailler sur tous les plots, j’ai donc réalisé mon étude sans avoir toutes les données mais en ayant néanmoins un échantillon le plus représentatif possible.
Dans le cadre des recherches pour la valorisation de la forêt à dipterocarpes, mon étude portait sur la flore inventoriée sur les placettes. Le but était de discriminer les placettes selon leur composition en espèces puis de créer des groupes de placettes ayant des espèces communes. Ensuite j’essayais de trouver un lien entre la composition floristique et les facteurs du milieu.
Dans un premier temps il s’agit bien entendu de faire de la bibliographie pour se familiariser avec la flore locale, le contexte, les études déjà menées…
Dans un deuxième temps on réalise une étude statistique à l’aide du logiciel R qui nous retourne les groupes qu’il est possible de créer (méthode appelée Classification Ascendante Hierarchique). Ensuite, à l’aide de la méthode d’Analyse Factorielle des Correspondances, on représente les placettes dans une espace à 2 ou 3 dimensions selon leur composition florale (la présence ou l’absence d’une espèce représente la coordonnée d’une placette). La dernière étape est d’étudier un lien possible entre cette représentation spatiale des placettes et les valeurs écologiques mesurées sur le terrain.
Pour cette étude on utilise le logiciel de statistiques R. D’abord il s’agit d’écrire les lignes de code. Ce qui n’est pas chose facile sachant que la théorie c’est bien mais toute personne ayant un jour approché un logiciel de code quelconque sait qu’il y a toujours un problème quelque part.… et le trouver par soi même est long et pénible.
Ensuite on applique ces programmes aux dossiers où sont enregistrées toutes les données et il ne reste plus qu’à analyser graphiques et valeurs.
Malheureusement la conclusion de mon étude est que l’on ne peut pas utiliser la flore pour apprécier les valeurs écologiques d’une placette : impossible de trouver des groupes de placettes similaires et donc de les relier avec des facteurs du milieu. Bien entendu c’est toujours un peu décevant de ne pas présenter au maître de stage un beau rapport avec une conclusion inédite et déterminante pour la suite mais une absence de conclusion est toujours un résultat !
J’ai de plus essayé d’expliquer pourquoi ça n’a pas marché : les arbres sont plus sensibles à l’activité anthropique et au climat qu’aux facteurs écologiques du sol, il faudrait donc peut être plutôt s’intéresser aux espèces herbacées.
Enfin, mon travail a permis d’utiliser des méthodes pas forcément connues par l’équipe et de créer des programmes que l’on peut appliquer à d’autres bases de données.… et donc plein de perspectives pour des études à venir.